Intercompréhension, dictionnaires numériques, et traducteurs automatiques

Cet article a été rédigé dans le cadre du projet GALAPRO (Formation de Formateurs à l'Intercompréhension en Langues Romanes, 2007-3636/001-001, 135470 - LLP - 1 - 2007 - 1 - PT - KA2 - KA2MP), qui a été financé avec le soutien de la Commission européenne. Ce document n'engage que son auteur et la Commission n'est pas responsable de l'usage qui pourrait être fait des informations qui y sont contenues.

CHAVAGNE, J.-P. (2009). « Intercompréhension, dictionnaires numériques, et traducteurs automatiques ». Communication orale au II Jornadas Científicas - UCM - Proyecto Galapro. 12 février 2009. Facultad de Filología, UCM, Madrid (Espagne).

Resumo: Na perspectiva das futuras formações à intercompreensão do tipo de Galanet, chegou a altura de colocar o problema do uso pelos alunos dos dicionários e dos tradutores automáticos, até agora muito pouco estudado, apesar da eficácia evidente para o acesso ao sentido de qualquer texto, e do progresso das tecnologias neste domínio. Quer-se mostrar que as novas ferramentas tecnolinguísticas têm um papel pertinente na aprendizagem da leitura de línguas, e por conseguinte um lugar na pedagogia e na didáctica da intercompreensão.

Abstract: Having as perspective the forthcoming Galanet training of intercomprehension, the moment has arrived to the question about using dictionaries and automatic translators by students a question which has been so few studied until now in spite of its undoubtedly efficiency to get meanings from a document and of the growing develop of technologies in this field. In this article we're going to show that these technical and linguistic tools have a pertinent role in learning languages and in reading skills and though this in pedagogy studies and in didactic of intercomprehension. ### Après dix ans de travail en commun dans le groupe des partenaires des projets successifs Galatea, Galanet et Galapro, je me rends compte que nous n'avons jamais abordé de front la question de l'utilisation des dictionnaires électroniques et des traducteurs automatiques dans les situations d'intercompréhension que nous proposons à nos publics. Or, les dictionnaires et les traducteurs ont considérablement évolué pendant cet intervalle et, spontanément, les publics en formation utilisent déjà certains de ces outils beaucoup plus que le dictionnaire papier, et le grand public, confronté à un nombre croissant de langues, le fait aussi. Un marché s'est développé dans ce domaine et parallèlement s'est développé aussi un partage de ressources gratuites sur Internet, particulièrement abondantes. Je vais donc plaider en faveur de cette utilisation qui ne me semble pas contradictoire avec les développements des stratégies de compréhension sur lesquelles nos projets ont fait porter leurs efforts. Je prendrai mes exemples dans les langues romanes et dans les échanges qui ont eu lieu pendant les sessions de formation de Galanet.

Quand la situation d'intercompréhension est constituée par de l'écrit asynchrone, sur un écran d'ordinateur connecté, il sera logique de recourir, à la première difficulté de compréhension, à un dictionnaire bilingue en ligne, ou même à un traducteur en ligne1). C'est ce que font, en 2009, et depuis déjà plusieurs années, les étudiants les plus avertis quand ils se trouvent dans cette situation, sans aucune incitation professorale2).

Le dictionnaire en lui-même reste un puissant outil de compréhension pour notre propre langue et a fortiori pour une langue nouvelle. Lorsque nous nous trouvons devant un texte, le dictionnaire réussit le plus souvent à nous sortir de situations désespérées, d'impasses, et ce dans la plus grande discrétion. On ne saurait le refuser à qui a envie de comprendre sans se faire remarquer. Et pourtant des réticences existent chez des professeurs, qui invitent leurs publics à se méfier des dictionnaires, prévenant certains étudiants peu critiques des mauvais services rendus, ayant à leur égard la même attitude que nous avons réussi à ne plus avoir envers les faux-amis du vocabulaire. Les bons services du dictionnaire ont de quoi faire oublier les mauvais, de même que les vrais amis du vocabulaire estompent les faux.

Aujourd'hui, le dictionnaire électronique et le dictionnaire en ligne ont décuplé la puissance d'accès au sens du déjà merveilleux dictionnaire papier. On a encore moins de raisons de le refuser aux élèves et aux étudiants. Je suis donc déjà en faveur de l'usage des dictionnaires pendant les activités d'apprentissages de langues en général, comme on le fait dans la vie, mais aussi aux examens et autres tests.

Jetons un regard sur une fiche à titre d'exemple, fournie par un dictionnaire en ligne3) à partir d'un problème de compréhension posé par « c'entra » dans la phrase suivante : « La religione non c'entra… dietro alle guerre ci sono ragioni economiche…“4) Voici la fiche obtenue en cliquant sur « entra » : ### entrare

verbo intransitivo

entrer
entrare in qualcosa [luogo] entrer dans quelque chose

[stato, attività] entrer en quelque chose

la squadra è appena entrata in campo l'équipe vient à peine d'entrer sur le terrain

gli attori sono entrati in scena accolti da un applauso les acteurs sont entrés en scène sous les applaudissements

non mi entra c'est trop petit pour moi

entrare a far parte di qualcosa entrer dans quelque chose

questo non c'entra ça n'a rien à voir

entrare in possesso di qualcosa entrer en possession de quelque chose

entrare in vigore entrer en vigueur ### Il suffit à qui ne connaît pas le sens de « c'entra », qui semble le plus opaque des mots de la phrase à un francophone, de parcourir cette fiche qui s'ouvre quasi instantanément sous un clic de souris, et de s'arrêter à « questo non c'entra ça n'a rien à voir » pour obtenir satisfaction et continuer sa lecture. Pas besoin d'aller chercher le dictionnaire sur son étagère, pas besoin non plus d'entretenir une collection fournie de dictionnaires pour parer à toutes les situations dans toutes les langues qu'on pratique, un seul clic et il nous est proposé une série de fiches dans tous les dictionnaires activés où figure la suite de caractères sur laquelle on a cliqué.

Dans un cadre institutionnel d'apprentissage des langues (écoles, collèges, lycées, enseignement supérieur), il est temps aujourd'hui que l'encadrement pédagogique se pose la question du profit que l'étudiant ou l'élève va tirer de l'utilisation de tels outils. Pour les traducteurs, le problème pédagogique va se poser plus vivement, parce qu'il est légitime de se demander si un tel outil ne va pas empêcher l'étudiant ou l'élève d'apprendre à traduire sans lui, ou bien ne va pas l'habituer à se contenter de traductions fausses. Mon opinion est plutôt que ces outils sont désormais incontournables et que le travail pédagogique consiste à accompagner les étudiants et les élèves de telle façon précisément que l'utilisation leur permettent tout de même d'atteindre une autonomie en traduction, avec eux. Ajoutons que l'enjeu de l'acceptation de ces outils est sans doute la généralisation de projets d'intercompréhension à tous les niveaux.

On oppose souvent au traducteur, dans nos milieux académiques, son manque de fiabilité, et on dit à juste titre que le produit obtenu n'est pas dans une langue correcte, ou qu'il est fautif5). Une réflexion doit être faite en tenant compte de la situation d'intercompréhension qui ne demande pas une traduction correcte mais un accès au sens dans un contexte.

Je prends comme exemple une expérience personnelle au cours d'une session de Galanet. Je lisais dans un forum : « ho messo Hermione e Cristiano come redattori di Pisa, ma c'è posto anche per un altro. »6) Ne comprenant pas « c'è posto », je colle « ma c'è posto anche per un altro » dans le traducteur7) qui me donne : « mais il existe site pour un autre ». Il est évident que ce résultat, qui est une phrase agrammaticale et posant un réel problème sémantique, ne devrait pas être acceptée par un élève ou un étudiant de nos institutions, sous peine de ridicule. Dans le cas d'une situation d'intercompréhension, elle ne lui est pas utile et il doit continuer à chercher. Le recours au traducteur n'aura été dans ce cas qu'une fausse piste. Insatisfait, je pose la question à une participante italienne, en tentant une autre hypothèse insatisfaisante : « Je n'arrive pas à comprendre “ma c'è posto anche per un altro” : “mais c'est mis aussi pour quelqu'un d'autre” ? ». Elle me répond : « posto= place, “c'è posto”= il y a de la place, = il y a de la place aussi pour quelqu'un d'autre. » Bien sûr, suis-je bête ! ai-je pensé en lisant la réponse de mon informatrice. Echec du traducteur ou échec de “l'étudiant”, en tout cas, il est prouvé que le travail en interaction avec des personnes reste essentiel.

Prenons un autre exemple à partir d'un extrait de message en roumain. Je butte un jour sur cette phrase : “Vice versa nu stiu daca este posibil, poate in cazuri extreme, dar cred ca se poate intampla mai rar.”8) Si je la colle dans le traducteur9), il me donne la traduction suivante : “Vice versa, je ne sais pas si cela est possible, peut-être dans des cas extrêmes, mais je pense que cela peut arriver plus lentement.” Compte tenu de mon contexte, il n'y a que “plus lentement” qui me choque. Je colle alors “mai rar” dans le traducteur, pour lequel j'obtiens “moins fréquemment”. Et je peux poursuivre ma lecture, au besoin après avoir pris quelques notes pour capitaliser ce que j'ai appris

L'accès au sens en situation d'intercompréhension ressemble beaucoup à la première phase du travail de traduction. On ne peut traduire que ce qu'on a d'abord compris. De même on ne peut répondre qu'à ce qu'on a compris. On se passe en intercompréhension de la deuxième phase qui est la mise en forme dans sa propre langue, au profit du dialogue, ou de la simple satisfaction d'avoir compris.

Le dictionnaire lui-même que l'on ne met pas en cause de la même façon que le traducteur automatique, n'est pas fiable en ce qu'il donne des traductions hors du contexte, et tout l'art de son utilisation est précisément de ne pas lui donner bêtement le dernier mot. C'est tout à fait ce qui se passe avec le traducteur à qui on fait généralement un mauvais procès. Et ce procès est d'autant plus décalé, dans le cas de l'intercompréhension, que le produit de la traduction donné par le traducteur ne sera utilisé que par le sens qu'il apporte, mais en aucun cas comme texte dans la langue cible. Si le résultat est absurde, on n'en tient pas compte et on cherche une autre voie. S'il ne l'est pas, on vérifie sa cohérence avec le contexte.

Dans les situations vivantes d'apprentissage de plusieurs langues en intercompréhension, l'élève ou l'étudiant doit tirer profit d'un temps court et d'un temps long. Le temps court est celui de la satisfaction de l'accès au sens, et le temps long celui du progrès. L'un et l'autre doivent s'alimenter. L'accès au sens, quand il est satisfait, doit permettre le progrès. Les difficultés les plus fréquentes seront résolues en premier. Il est évident que le moindre progrès fait va aider à l'accès au sens devant un nouvel énoncé. Mais ce progrès doit être organisé. C'est pourquoi il est conseillé à celui qui apprend de tenir, sous une forme ou sous une autre, un journal d'apprentissage relevant les problèmes et la manière dont ils ont été résolus, et les éléments linguistiques appris à chaque occasion. Le dictionnaire, ou le traducteur, pendant le temps court de la satisfaction, aura été un tremplin pour le progrès. Les facteurs qui garantissent le progrès seront la fréquence, la durée, et l'organisation (lire souvent, longtemps, et faire un journal d'apprentissage).

Le dictionnaire et le traducteur s'opposent-il à des stratégies de compréhension « à main nues », c'est-à-dire celles qui ne font appel à rien d'autre que l'intelligence, sans outils particuliers. On peut penser qu'ils les court-circuitent et qu'on apprend moins en recourant trop au dictionnaire plutôt qu'en faisant appel à ce qu'on sait déjà et à ce qu'on a déjà, c'est-à-dire au savoir plurilingue et au contexte. Les deux se recoupant conduisent souvent à une quasi certitude, même devant un élément nouveau et on se passe alors du dictionnaire, sauf pour vérifier. On peut parier que ces stratégies « à mains nues » continueront d'être mobilisées prioritairement, pour une raison simple qui est qu'elles sont immédiates, au sens où le dictionnaire ou le traducteur, eux, sont des détours, des médiateurs. Il est moins naturel de marcher avec une béquille. Qu'il y ait en apparence un abus du dictionnaire et des traducteurs en début d'apprentissage d'une langue en compréhension devra être considéré comme une phase de cet apprentissage.

Un autre rôle sera donc assuré par l'intermédiaire du dictionnaire, c'est celui de satisfaire le besoin de vérifier. Les stratégies d'exploitation du contexte et des connaissances plurilingues conduisent en effet à des hypothèses plus ou moins assurées, qu'une consultation des outils technolinguistiques pourra confirmer.

On doit dire aussi que dans une situation de dialogue écrit, synchrone ou asynchrone, le dictionnaire apparaît comme le refuge du timide, un type d'élève ou d'étudiant fréquent en langues. Une interaction forcée est une violence pour le timide. L'appui du dictionnaire et du traducteur lui donnera davantage d'assurance et évitera le blocage et le découragement.

Une autre attitude existe qui est celle de l'excès d'interaction avec les personnes, et que le dictionnaire peut ramener à de plus justes proportions. Le problème se pose de cette façon : doit-on demander à un interlocuteur un mot dont le sens est à notre portée de clics en 3 secondes ? Je donne l'exemple de cette participante qui demande sur le forum le sens d'un mot facile à trouver :

tenho uma pequena dúvida em relação ao vosso tema!

O que quer dizer “Nel Buio”? É que aqui na turma ninguém conseguiu perceber o significado e gostaríamos que nos esclarecessem!!10)

Une classe entière n'aurait donc pas eu l'idée de regarder dans un dictionnaire d'italien la sens de ce mot opaque pour un lusophone, « buio ». La solution qui consiste à demander à une centaine de personnes sur un forum n'est pas naturelle. Même s'il est bon de créer l'habitude de l'interaction, on peut craindre que cette interaction sur le vocabulaire ne prenne la place de l'interaction sur le fond, celle qui fait vraiment la rencontre interculturelle et le travail en commun. Le sens d'un mot, ce n'est pas le sens de ce qu'on dit.

Les dictionnaires électroniques et les dictionnaires en ligne, aussi bien que les traducteurs automatiques, sont sans contexte une évolution efficace du dictionnaire papier, lequel conserve heureusement une place dans notre vie. Pour la lecture à l'écran d'ordinateur, ils se révèlent d'une utilisation plus rationnelle et plus rapide, sans compter qu'ils sont moins coûteux. Si pendant l'apprentissage lui-même, ils ne sont qu'un moyen parmi d'autres d'accéder au sens, ils seront ensuite parfois la seule aide devant des textes variés dans des langues diverses plus ou moins connues du lecteur. Il convient donc de les faire connaître et d'en faire apprendre l'utilisation aux élèves et aux étudiants de langues en général, mais surtout à ceux qui suivent une formation à l'intercompréhension, en langues romanes ou autres. Et il convient aussi, dans la conception de nos futurs dispositifs, de faire une place visible à ces outils technolinguistiques.

Les craintes légitimes, selon lesquelles ils risqueraient de freiner le développement de facultés d'accés au sens qui sont plus “intelligentes”, peuvent être levées en raison du fait qu'ils seront toujours considérés comme des recours, et non comme la solution la plus naturelle.

L'esprit même du développement remarquable de ce secteur de l'ingéniérie linguistique est le même esprit qui anime l'intercompréhension : tisser des liens dans notre nouveau monde où les frontières, grâce à Internet, se sont estompées du point de vue linguistique et culturel. ###

Sitographie

Outre les dictionnaires et traducteurs en ligne cités ci-dessus, on trouve bien d'autres ressources sur Internet. Voici une liste non exhaustive de liens menant vers des outils linguistiques gratuits ou payant, parmi ceux qui sont le plus souvent utilisés (ces liens ont tous été vérifiés le 8 juin 2009) :

http://www.freelang.com/

http://www.lexilogos.com/

http://www.onlinedictionary.com/

http://www.ultralingua.com/

http://www.mediadico.com/dictionnaire/

http://www.woxikon.fr/

http://www.wordreference.com/

http://www.thefreedictionary.com/

http://www.sensagent.com/

http://www.travlang.com/

http://www.dicts.info/

http://fr.babelfish.yahoo.com/

http://www.systran.fr/

http://www.reverso.net

1)
Les solutions « en ligne » prennent de plus en plus le pas sur les solutions résidentes, c'est à dire celles qui sont sous la forme de CD-Rom ou d'installation de programmes sur le disque dur de l'ordinateur.
2)
Leur choix semble se porter majoritairement sur le traducteur de Google (http://translate.google.fr), en concurrence avec Lexilogos (http://www.lexilogos.com), qui sont gratuits.
3)
Il s'agit du dictionnaire italien-français de Babylon (www.babylon.com) qui est payant.
4)
Alterius, (18/10/07 15:23), Forum : Romper el hielo / elección del tema > La religione, Session “Outono ai primavera aqui”
5)
On lira à ce sujet un intéressant article de Jean Véronis sur son blog : http://aixtal.blogspot.com/2006/01/traduction-systran-ou-reverso.html.
6)
ElenaC, (15/11/08 14:10), Forum : Collecte de documents et débat > Equipe di Pisa…?, Session « Costruttori di ponti »
7)
De nouveau Babylon, qui est aussi un traducteur en ligne pour plusieurs dizaines de langues.
8)
Daiana (23/04/09 12:39), Collecte de documents et débat, AMICIZIA E AMORE, Session « O paleta de culturi »
9)
Cette fois, il s'agit des « outils linguistiques » de Google : http://translate.google.fr/.
10)
Nymphalidés (20/04/06 11:33), Collecte de documents et débat > Nel buio: se non parli, non esisti? Session : L'art du dialogue. Traduction : J'ai un petit doute sur votre thème ! Que veut dire « Nel buio » ? C'est qu'ici dans la classe personne n'est arrivé à comprendre la signification et nous aimerions que vous nous éclaircissiez !!
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